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Chargées de recherches, Germaine Tillion et Thérèse Rivière débarquent à Alger en décembre 1934 avec un matériel encombrant et un programme de travail très ambitieux. Très vite après leur arrivée dans l’Aurès, au pays des Chaouïa, elles s’établissent chacune de leur côté pour mener des recherches indépendantes, quitte à travailler ensemble en des occasions particulières. Thérèse Rivière, muséographe déjà expérimentée, sillonne le secteur pour collecter et répertorier objets et techniques. Germaine Tillion prend le parti de s’installer chez les Ah-Abderrahmane de Kebach, dans le douar de Tadjemout, « le plus petit, le plus pauvre et le moins accessible de l’Aurès, donc le plus éloigné des représentants de l’ordre », à 14 heures de cheval d’Arris, le centre administratif le plus proche. Pour elle, en effet,

«On entrait en ethnographie, comme on entre en religion, avec de grands principes, du recueillement, et le goût des macérations.»

(Il était une fois l’ethnographie, p.19)

Pendant ses missions successives, de 1934 à 1937, puis de 1939 à 1940, elle suit cette tribu Chaouïa semi-nomade dans ses déplacements saisonniers :

« Les gens de cette région étaient à la fois éleveurs et cultivateurs, car ni l’élevage ni la culture ne pouvaient les nourrir. Ils étaient donc semi-nomades : l’hiver ils vivaient au Sahara, l’été tout en haut des cimes, et en mi-saison dans les gourbis qui avoisinaient la guelaâ - forteresse où ils stockaient leurs récolte.» (Il était une fois l’ethnographie, p.111)

Elle suit le pèlerinage qui, chaque été, chemine sur 200 kilomètres jusqu’à la montagne du Djebel Bous et, en compagnie de Thérèse Rivière, assiste aux cérémonies de mariage et de circoncision. Elle s’attache à reconstituer la généalogie de chacune des familles,

« sur environ deux siècles en y joignant tous les événements retenus par les mémoires.» (Il était une fois l’ethnographie, p.19)

Elle apprend à connaître les habitants et leur territoire, étudie les relations entre les sexes, les lignées, la vie économique et les aspects matériels, le statut de la femme Chaouia et la transmission du patrimoine.

« Au passage, les Imouqqranen (« Grands Vieux ») venaient me saluer, boire une tasse de café avec moi, et ensuite, en leur compagnie, je reconstituais des généalogies, j’évaluais - selon les pluies - la survie probable des chèvres et les rendements des semis d’orge ou de blé dur, j’assistais aux répartitions des corvées, à l’épluchage des affaires d’honneur, j’apprenais avec qui telle fille devait se marier et qui elle épousait finalement, pourquoi telle famille s’était brouillée avec telle autre, avec quels compagnons chaque membre de la population active allait s’associer pour labourer sa part de terres collectives, comment ensuite il répartirait sa récolte, avec qui finalement il devrait la manger. J’apprenais surtout à écouter ce que chacun me disait, à ne pas savoir d’avance ce qu’il allait me répondre, et à garder secret ce qui devait l’être.» (Il était une fois l’ethnographie, p.10)

« Si vous êtes capable de vous procurer de l’orge en mars (période de disette), de louer un mulet en mai (période de la moisson), de renvoyer un domestique sans vous brouiller avec sa famille, de ne jamais vous mettre en colère, d’obtenir cependant une partie de ce que vous demandez, alors, vous pouvez commencer à faire de l’ethnographie. Encore faut-il que ces exploits vous en laissent le temps.» (Il était une fois l’ethnographie, p.110)

Du printemps 1937 à l’été 1939, entre ses deux longs séjours dans l’Aurès, elle fréquente à nouveau les cours de Marcel Mauss et de Jean Marx, ceux d’Emile Destaing aux Langues Orientales, et découvre ceux de Louis Massignon qui deviendra son deuxième directeur de thèse et un ami proche pour la vie. Elle obtient, en 1939, le diplôme des Hautes-Etudes avec un mémoire sur « La morphologie d’une république berbère : les Ah-Abderrrahman transhumants de l’Aurès méridional ». L’étude exhaustive des institutions de cette tribu et de chacune des familles qui la composent est le sujet de la thèse principale qu’elle projette de présenter en Sorbonne, la thèse complémentaire traitant de l’ensemble des tribus du pays Chaouïa.

Mais les 700 pages déjà rédigées de sa thèse et ses documents de travail disparaîtront en 1945 au camp de Ravensbrück. Et c’est seulement en l’an 2000 que paraîtra « Il était une fois l’ethnographie » livre qui retranscrit, à partir de ses souvenirs et des bribes de documents sauvegardés, son expérience d’ethnologue dans les Aurès, enrichie de soixante années de réflexion.

Le 28 mai 1943, alors que Germaine Tillion est détenue à Fresnes, les objets qu’elle-même et Thérèse Rivière avaient rapportés de leurs missions sont présentés au Musée de l’Homme, et le resteront jusqu’en mai 1946, dans une exposition « Les collections de l’Aurès » ouverte à l’initiative de leur collègue Jacques Faublée .

BIOGRAPHIE

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1934-1940 : ETHNOLOGUE DANS LES AURES

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